#44 L'attente
Julie Boitte | 2020
#43 L'Autre Monde
Tu as marché longtemps
Et tu as respiré
Ça t’a fait écouter
les cris des papillons.
Rouge.
Ça a duré longtemps
pour arrêter de penser que
seul.e l’autre te raccroche à la vie.
Mais non, tu n’es pas morte.
C’est juste que tu ne regardais que là
à cet endroit précis
là où l'autre
n’était pas.
Maintenant
tu peux t’ancrer
toucher la terre
regarder l’Est
respirer l’air
suivre ta chaleur et ton élan
rester changeante-mouvante
tout le temps
Car seule,
tu n’es pas.
Tu ne l’as jamais été.
Regarde juste
autour de toi.
Julie Boitte | 2021 Extrait de 'Dis-toi que ton coeur est celui d'une bête sauvage' Poésie Electro-Rock de Mocosès
#41 Denise
(...) parce que pour Denise,
c'est pas qu'il n'y avait pas eu de prétendant.e.s.
Des beaux, des belles, des riches et des intelligent.e.s.
Les voisin.e.s les avaient vu défiler devant la maison.
Alors,
chacun.e se demandait POURQUOI aucun.e n'était resté.e.
Non, ça ne pouvait pas être 'juste' à cause des poignées de porte?
Si? Non?!
Etait-ce si grave que toutes les poignées de portes de chez Denise
soient
en os? (...)
Julie Boitte | 2015 Extrait de "Antre[s]" sous le regard extérieur de Didier Kowarsky
#40 Iel et Suzie
(...) On est arrivé.e.s loin. Dans un autre jardin, celui des têtes coupées. On s’est planté.e, enterré.e, sans bouger. Isolé.e. Désespéré.e. Cette îlinvent’ n’était donc pas, idéale ? C’était insupportable. Mais impossible de s’en remettre aveuglément. Îleinvent’ ou pas.
Alors, nous avons goûté à la contemplation du devenir plante, végétal, liane, à qui on ne demande rien. Et ça a duré. Le temps que les veines d’Iel se recousent.
Là, Iel a fait vibrer, son corps et ses os, avec la terre, de cette voix profonde-rauque, cristalline-légère. Et la terre répondait. Et la terre était, fécondée. Et la terre faisait naître-surgir une plante, teintée du rouge carmin-cramoisi-pourpré-rosé : c’était, selon l’émotion, une plante qui ouvrait toutes les portes de la perception.
Les plantes parlaient à Iel. Iel n’avait qu’à, se brancher-connecter. Iel a appris COMMENT TOUJOURS AVOIR DE L’AIR, pour respirer même dans une bulle enfermé.e.s. (...)
Julie Boitte | 2022 Extrait de "Iel et Suzie" pour le projet Europe/Québec "L'île inventée"
#39 Carmilla
(...) D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, bien que fille unique, et bien que sa mère soit morte alors qu’elle était enfant, Laura ne s’était jamais sentie seule.
Il y avait toujours eu la brise dans le jardin, le vol des chauve-souris, le hululement des hiboux, les pas feutrés des renards. Et dans le manoir tout entier, les effluves de parfums anciens, les froissements de tissus invisibles, les craquements du parquet et les portes qui décident elles-mêmes de s’ouvrir.
Mais depuis que Carmilla -l’invitée- était arrivée, Laura ne pensait qu’à elle. Passait tout son temps avec elle, faisait tout comme elle, elle était comme aimantée, irrésistiblement attirée.
Elles avaient le même âge, portaient le même modèle de robe de nuit, et chacune dans sa chambre laissait une bougie allumée sur sa table de nuit, et chacune chaque nuit, fermait la porte de sa chambre à clé de l’intérieur. (...)
Julie Boitte | 2022 Extrait de "Mon sang coule dans tes veines" balade contée singulière
#38 Partir
Tu as besoin de partir
Tu as besoin de quitter
pour ne pas te laisser
Enfermer.
Tu marches quel que soit le climat.
Soleil qui te force par son éclat
à porter des lunettes
noires
- comme le chat.
Pluie qui rebat ton écharpe
et emmêle tes cheveux
mais
you don’t care,
Tu marches
sans t’arrêter et sans savoir
où tu vas.
Tu marches
parce que tu as besoin
de partir,
quel que soit le moment
de la journée
et surtout si la nuit
est déjà tombée.
Et ton cœur saigne.
Il cherche
la liberté.
De quitter tu as besoin,
c’est viscéral.
Pour que le souffle que tu sens,
ce souffle permanent de la sorcière d’antan
renouvelle
Ta peau
termine
Ta mue.
Fais donc enfin bouillir tes loques dans le chaudron.
Que tu n’as pas reçu de ta mère qui ne l’a pas reçu de sa mère non plus
Car le fil
a été coupé.
Le reste du temps pour ne pas t’ennuyer tu mijotes,
réchauffes les restes de ce que d’autres ont préparé,
fusionnes avec tes ingrédients secrets.
Et ça brûle
souvent très souvent.
Oui, la formule tu l’as oubliée
mais la magie ne s’est pas envolée.
Tu la sens tu le sais.
Tu n’es pas seule.
et quand tu marches,
Tes pas
emportent tes larmes.
Tu as besoin de partir.
Tu as besoin de quitter.
Mais ton cœur qui saigne,
Quand sera-t-il réparé ?
#37 Psyché
(...) Tu es près de lui. Près de lui, et seule. Lucide. Donc. Enfin.
Tu es seule mais
Tu n'as plus peur.
Dans l'aridité des montagnes, tu n'es pas perdue. Tu n'es plus
à sa merci. Tu n'es plus
à la merci des becs des corneilles qui envient tes yeux. Tu es l'une d'entre elles.
Clairvoyante. Tu vois. Même les yeux fermés.
Tu sais qui il est. Tu sais qui tu es.
Tu as déchiré le voile : Not Anymore Eyes Wide Shut.
Tu-sais-qui-tu-es-tu-sais-qui-il-est.
Tu ne fuis pas.
Tu restes. Et tu pars à la fois.
Hors du jardin. Et jusque dans les bois. (...)
Julie Boitte | extrait de "Psyché" poésie électro-rock de "Dis-toi que ton coeur est celui d'une bête sauvage"
#36 Ce qui se passe
D'autres choses se passent que celles qui sont
évidentes
ou faciles
à voir.
Il y a d'autres chemins d'autres voies d'autres voix
que ceuxcelles qui sont tracé.e.s-cri.é.e.s pour être obéi.e.s.
Je veux la route qui n'existe pas.
La faille à se creuser-frayer
au milieu des débris
des vies passées.
Mais aussi parmi les herbes
folles
- entendez qui ont résisté
à être domptées.
Jamais domptées non.
Jamais soumises.
Jamais dociles.
Jamais obéissantes.
Mais libres.
Libres
De toute entrave.
Julie Boitte | 12 février 2022
# 35 Objet
Objet.
Bel Objet.
Pratique.
Fonctionnel.le, j'étais.
Jusqu'à aujourd'hui.
Car quand je pense à la mort, elle, à mon nez, rit.
De mes errances.
Je veux cesser de mourir.
Alors que je ne fais que ça:
Mourir-à-moi-même-à-mes-rêves-à-mes-idéaux-à-"Tout ce que j'aimais"*.
Je sais.
Mais à nouveau, comment m'en empêcher?
Comment refuser
l'habitude,
apprise acquise,
depuis l'enfance.
Tout en trouvant cette
Résistance
au fond de moi,
de mes cellules qui pourtant
doivent bien se souvenir?
Non?
D'un héritage,
de toutes celles qui l'ont fait avant moi,
ce chemin.
Où sont ces souvenirs, ces souvenances, ces réminiscences
d'une époque
- même brève,
d'une dignité
ancrée,
refusant d'être malmenée
par des volontés extérieures
et plus fortes que moi,
car portées
par des siècles et des siècles amen
de maltraitance
avec évidence
et sans jamais
"se retourner en rampant dans [leur] cerveau"**.
Où trouver cette puissance?
Et par quel bout
- dites-moi-non-ne-me-dites-pas-je-la-trouverai-seule,
la mobiliser?
Julie Boitte | janvier 2022
* titre du livre de Siri Hustvedt ** référence à Jim Morrison poète et chanteur du groupe "The Doors"
# 34 La Lenteur
Quand le temps ne passe pas
Ou quand il passe trop vite,
Est-ce identique?
Je suis la tortue qui parfois hésite
Au lieu de poursuivre sa route
Tracée.
Si je m'arrête c'est pour
Sentir.
Ce qui serait juste
Pour moi seulement
(C'est là la dureté).
C'est LE défi
De chaque instant.
Revenir dans son corps
Lentement.
Plongeant.
Sentant son cœur qui s'emballe.
Et le calmer.
Redescendre profondément
Dans le fond du gouffre
Dans le fond du
souffle.
Respirant.
Jusque dans le ventre les tripes tous ces endroits dont on ne peut pas
- toujours pas -
Parler librement.
Même si Tout
Vient toujours de là.
De ce qui frémit depuis l'infini
Ce qui fait vibrer la moindre cellule
Et qui n'a jamais été
Petit.
C'est seulement qu'on lui a dit
De se taire de se diminuer de se planquer
Pour ne pas déranger.
Alors oui
Si tu te dépêches tu ne déranges pas tu fais ce qu'on attend de toi tu ne sens rien tu ne sens pas tu ne te relies pas à ce que l'extérieur pressé ne voit pas.
Car oui
Ces choses-là ne se donnent pas
Comme ça.
Car elles le savent
Qu'elles peuvent si vite
Et si durablement
Être abîmées.
Mais
TOUT est toujours venu de là:
Du fond.
De là où
On ne peut descendre que lentement.
Pas à pas.
Barreau après barreau après barreau, innombrables.
Clôture après barrière,
Barrage après barricades,
Innombrables.
Et de plus en plus solides.
Ou pas...
Si tu cesses de décider
avec ta volonté.
Si tu te laisses faire.
Si tu les laisses
T'ouvrir.
Le souffle lent
Donne douceur
Et calme.
Alors,
Au fond du fond du ralentissement le plus grand
- et toujours en mouvement pourtant -
Au fond du fond de ce fond-là
Quelque chose s'ouvre.
Une autre dimension un autre thème un univers
Qui réhydrate les racines retournées.
Qui ravive les couleurs rêvées.
Qui recrée ce lien
‘’Inimité’’.
Et c'est seulement quand je suis quand tu es quand nous sommes
Dans ce temps autre
Que
QUELQUE CHOSE
Se passe.
Une chose
Lente
Ou fulgurante.
Julie Boitte | janvier 2021 - prix reçu d'Uccle en poésie le 15 novembre 2021, catégorie slam
#33 Pieces of me
Pieces Of Me
Que je vous donne
sans compter.
Je me les arrache pour vous plaire,
Pour que vous m'aimiez
Que vous me disiez qui je suis,
Beauté.
Pieces Of Me
Que je lacère,
Eperdument.
Je m'étonne même de voir mes ongles, en sang
Tandis que tu cries ton désir
Pour que je t'aide à revenir
dans ton corps.
Pieces Of Me
Dilapidés
Dispersés.
Je les ai jetés pour voir, savoir
Comment être VUE enfin reconnue
Et qu'au lieu de me vider
De mon sang
Je reprenne vigueur, et force.
Pieces Of Me
Que je regarde
Avec tendresse
Je les ramène à moi, non pas pour les thésauriser
Mais pour les laisser reposer
Puis les offrir, enfin, après
Avec tendresse justesse amour
Et sans rien oublier
Pieces Of Me
Que je lacère.
Je me les arrache
pour vous plaire
Des bouts de moi dilapidés
Dont je ne peux rien
Effacer
Pieces Of Me
Pieces Of Me
Julie Boitte | mars 2021
#32 Le doute
Le doute de ne plus être à sa place.
La crainte de ne pas être à la hauteur.
Le gouffre de la spirale qui nous emporte
Sans pouvoir l'arrêter.
Alors que si.
Je peux arrêter.
Je suis préparée.
Je peux sentir de quoi j'ai envie de quoi j'ai besoin pour
Respirer.
Je m'entraîne.
Je suis entraînée.
Je peux reprendre mon souffle et mon pied
comme on sort la tête de l'eau pour regarder où est le large et où est la rive
Et se laisser le choix,
Aller plus loin ou revenir.
Un choix sans réfléchir.
Un choix qui s'impose.
Une décision du corps
de ce que les poumons demandent
de ce que le ventre hurle
de par où le cœur
Bat.
Julie Boitte | février 2021
Comment savoir quand on est morte?
Comment en être sûre?
Tant de mort.e.s ne veulent pas partir, parce qu'ilelles ont été surpris.es et n'ont pas compris.
Comme cet homme resté sur le chemin devant chez lui, car il ne savait pas.
Comme cette jeune fille qui ne pouvait plus franchir les portes du jardin.
Les mort.e.s ne se savent pas toujours.
Et nous? Comment sommes-nous si sûr.e.s d'être vivant.e.s?
Quand on a si mal?
Quand on voudrait dormir tout le temps?
Quand on rêve un orgasme incessant
Pour pouvoir mourir dedans?
Oui.
C'est ça.
Toutes ces morts tous ces départs
Comment est-on si sûr.e.s d'y avoir survécu?
Comment être certaine que je ne suis pas vraiment morte sur le sol de la salle d'exposition évanouie parce que j'étais si
High.
Ou quand je me suis recroquevillée si fort
jusqu'à ne faire qu'une avec le pommier
pour étouffer les battements désordonnés
de mon cœur
quand j'ai cru que tu m'avais quittée?
Ou quand Marie-Jeanne était dans ce cercueil ouvert et que j'ai eu si envie de m'y jeter?
Ou quand j'étais Saint-Sébastien transpercé parce que je l'avais demandé à
La Madre?
Ou quand ma mère à moi ne me regardait et ne me parlait pas alors que je n'étais
qu'une enfant, que j'étais SON enfant?
Comment puis-je être sûre d'avoir survécu à tout cela?
Comment avoir la certitude que je ne suis pas passée de l'autre côté et que les autres ont juste peur de me le dire parce qu'ilelles en ont assez de me voir encore
Pleurer?
Je ne suis pas certaine.
Je ne la sens pas, parfois, cette vie qui pourtant devrait circuler dans mes veines.
Mais quand je la sens, c'est qu'elle me transporte.
Quand je la sens, je suis plus qu'humaine
Quand je la sens, c'est car la grâce
Me touche
Et que par hasard, je suis sur scène.
Traversée
Par quelque chose de plus grand de plus beau de plus puissant
Que moi.
Alors là oui je sens la vie.
Comme quand je suis près de toi
Et que toi aussi
Tu es vraiment là.
Julie Boitte | janvier 2021
28# Si jamais
Si jamais plus jamais on ne se revoyait
Que pourrais-je dire
de toi?
Quand les rues et recoins seront à nouveau
libérés
Si jamais plus jamais elle ne recommençait
l'électricité de nos
peau à peau
Où serais-je
et où pourrais-je encore
me perdre?
Si jamais plus jamais, les cavernes de mon corps
ne résonnaient plus
par ta voix
Il n'y aurait que le vide
Qui m'appartiendrait.
Si jamais plus jamais, cette ville
Connue désormais
Ne nous accueillait plus,
Que resterait-il des soupirs, des respirations retenues
De cette danse
un après-midi de printemps
au milieu d'un salon
béant
Creusé de mes plus intimes
gouffres
Le romantisme
n'en serait pas
plus violent
Julie Boitte | 23.03.2020, une nuit de confinement lors du Covid 19
27# Octopussy Girl
Elle ferme la porte de sa chambre à clé, toujours.
Le bouton de la porte est rond et brillant.
Mais ce n'est pas vraiment une porte. C'est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de porte en fait.
La fenêtre, elle, est réelle. Sans vitre - forcément, dans un château, il n'y a pas de vitres aux fenêtres.
Dehors, on voit la campagne.
Les montagnes bleues.
Les peupliers, tendus vers le ciel comme des gouttes d'eau, verte.
Et la route, sinueuse, qui va jusqu'à la mer.
De sa chambre, elle voit la mer. C'est de là qu'elle vient. Mais elle avait envie d'une demeure majestueuse. D'où, le château.
Elle n'est pas seule dans le château.
Sur les murs se posent une mouche aux yeux rouges et aux ailes blanches, et un scarabée qui se blottit dans le coin quoiqu'elle lui dise.
Au sol, sur le carrelage vert et blanc comme un jeu d'échec, il y a sa grenaraignée àzailes. Ce sont ses enfants. Mais autonomes déjà.
Pour eux, sur le mur et le carrelage, elle a tout prévu : une pomme qui fait bien 30 cm de diamètre et qui pend du plafond, tenue par un fil solide. La pomme est jaune. Son nom, c'est « Délice d'or ». Les enfants n'ont qu'à se servir.
Ainsi elle peut rester alanguie dans son fauteuil rouge et douillet. Un coussin rose lui soutient le dos.
Elle passe son temps à peigner ses cheveux noirs et épais. Son peigne n'est pas un peigne de nacre, c'est surfait, le nacre, mais l'ébène, ah l'ébène.
Ses cheveux sont retenus par un bandeau bleu. Ses yeux sont gris, ses lèvres rouges. Sa peau est rose pâle jusqu'à la taille. Au-delà, elle a 8 tentacules à ventouses qui gigotent à leur aise. Et surtout, qui lui permettent de s'appuyer sur le rouge du fauteuil d'un bras et de se peigner les cheveux de l'autre tandis que l'une des 8 tentacules tient son miroir en bois clair – l'or, pour un miroir, c'est surfait.
Ainsi, elle peut à la fois se mirer et rêver de la mer.
Car y aller, à la mer, elle ne peut pas.
Car, Elle, garde, la frontière.
26# Sorcière
Des amants oui, parce qu'il faut bien décharger cette énergie.
Qu'elle ne se transforme pas en RAGE. Destructrice. Parce que CestTellementTropLaBêtiseHumaineQu'onNePeutPlusAvoirNeSeraitce Qu'uneOnceDeBienveillance -Personne ne peut. Personne de lucide.
Ah si, bien sûr, il y a toujours ceux qui tombent en amour parce qu'ils sont fascinés.
Par leur corps d'abord. Par leur audace éventuellement.
Mais d'abord parce qu'ils s'imaginent les dominer, enfin. Et parce qu'ils croient qu'ils vont les sauver. Bien sûr. Avant de les museler. Pour l'éternité.
Même si c'est vrai, au début, elles auraient aimé. Même si c'est vrai au début elles l'ont souhaité, elles ont essayé.
Car au début, elles ouvraient encore leur coeur avec sincérité.
Car elles avaient cru - de par une lointaine aïeule qui l'avait tant répété - qu'elles se devaient d'être authentiques.
Au départ elles avaient tout bien fait comme on leur avait dit. Tout. Plus que tout. Bien. Très bien. Plus que très bien. Mais, ça n'était jamais assez. Jamais assez. Jamais assez bien.
A demi-mots tous.tes leur disaient qu'elles étaient défaillantes, manquantes. Que n'importe qui ferait mieux qu'elles. Tellement mieux qu'elles. Et sans rechigner.
Alors à un moment elles ont juste cessé de pleurer. A un moment elles ont juste arrêté de s'illusionner. Et elles n'ont plus pu faire confiance à personne. Parce que personne n'est toujours digne de confiance.
Et elles ont juste su qu'elles ne pourraient jamais plus baisser la garde. Plus jamais baisser la garde. Jamais. Avec qui que ce soit. Quelles que soient les promesses. Quelles que soient les paroles. Car non, une fois que les yeux sont dessillés, on ne peut plus, se confier.
août 2019 | Julie Boitte
25# La vieille
C'est une fille qui se jetait, nue, sur les lances acérées
Et qui s'étonnait de saigner.
(Autrefois enfant
Qui courait sur les mines
Rêvant qu'il suffisait d'y croire
Pour s'envoler)
Une femme qui ouvrait son coeur à tout vent
Pour essayer, sans avoir rien examiné avant.
Surprise d'être ainsi pillée, vidée, vampirisée.
Elle est sur le point d'arrêter.
Comme on décide de se sevrer.
De se bâtir une attention.
De se pourvoir d'une intention.
Guerrière.
Car la vieille au regard de fleuve ou de feu, aux iris de ciel et de terre profonde,
Doit se tenir debout.
Ne peut que se tenir debout.
-son destin n'est PAS d'être piétinée-
Jeune et vieillarde,
Cette femme reste debout
Intentionnellement.
Reste debout
Parce qu'elle l'a décidé.
Ne se soumet pas.
Ne se soumettra plus.
Jamais.
Sans regret.
Et avec une puissance
Sans cesse renouvelée.
24# L'envoi
(Je viens de lire "Passion Simple" d'Annie Ernaux. Voici le poème qui m'est venu.. On ne se refait pas ^^)
Je t'imagine.
Ouvrir la boîte aux lettres.
Et trouver le paquet.
Je t'imagine.
Je t'imagine sans cesse.
Un paquet très petit.
Pour ce qu'il contient
En vrai :
Tout mon espoir qui court vers toi.
Tout mon espoir qui ne sait pas
Comment il sera reçu, ni s'il sera
Considéré.
Car je suis exsangue.
Et tu es blessé.
Car tu es toi
Et je ne peux être personne d'autre
Que moi
Mais,
Nous
Pouvons avoir de la
Considération
L'un pour l'autre.
Je ne veux plus mourir d'amour.
Toi, veux-tu oser
M'aimer
Un peu ?
(...)
Ce qui va germer ne sait rien.
Mais a la force.
A l’énergie de naître.
A l’espoir d’être quelque chose,
de devenir quelque chose
quelque chose qui vaudra la peine.
Ce qui va germer rêve ses racines: solides,
rêve une croissance, magnifique,
une vie, grandiose. ...
(C’est un espoir.)
Même s’il y a un risque
que ses racines apparaissent entortillées, emmêlées,
un véritable risque que ces racines grandissent de façon tortueuse
cherchant très loin et revenant sans cesse au même endroit
ou repartant à l’autre bout mais,
même si c’est follement,
les racines grandiront.
la chose, ses racines, tout son être
est rempli d’énergie
pour tracer un chemin neuf
encore - jamais - emprunté - auparavant.
(...)
Julie Boitte | 04-05.2018 avec et pour le Trio Oblique avec Catherine Pierloz et Octavie Piéron
De toi-même,
personne ne peut te sauver.
De ta mélancolie profonde,
Personne ne peut te guérir.
Aaaaaah ce vide.
Ce vertige.
Cette séparation d'avec les autres.
Cette incompréhension fondamentale.
Immense, distance, que personne ne peut combler.
Personne d'humain - même en cas de génie.
Tu es séparé.e.
Accepte l'idée.
Tu es seul.e.
Au monde.
Et face à toi-même dès que le tourbillon des choses - sans importance les choses - s'arrête.
Regarde-toi.
Regarde-toi en face : Qui es-tu ? Que veux-tu ? Tu pleures parce que tu es vide ?
Ah mais cesse de te plaindre à la fin cesse de gémir.
Car le vide est un état de grâce.
Il n'y a que grâce au vide
que - la Magie - peut
advenir.
Julie Boitte | 04.2018
Ecailles irisées.
Halo de lumière. Dorée. Toujours dorée.
Flots.
Ecume de chevaux galopants.
Se battre toujours contre le rouge. Taureau.
Cheveux blancs.
Mémoire enfuie. Enfouie.
Qui étais-je avant?
Avant toi? Avant lui? Avant elle aussi.
Flou.
Je vois flou depuis si longtemps.
Peut-être que c'est là qu'apparaîtra le chiffre. Derrière les lignes.
Caché.
Derrière les géométries folles. Du monde. Et de la vie.
Je scrute dans le brouillard. Et j'espère...
J'espère.
Personne ne viendra plus maintenant.
La brume et ses voiles me cachent moi.
Pour que je puisse continuer à dire que je ne sais pas.
Dorée la lumière oui.
Et les écailles?
De dragon.
Pas de sirène ni de gentil poisson.
Julie Boitte | 07.2017
M'éclater la tête
Pour un "mot compte double", au moins.
Au moins.
M'exploser le crâne,
Eteindre mon cerveau
Et le rallumer sur une autre fréquence.
Quitter tout
Et détruire ce qui me paraissait beau, autrefois
Mais la table rase n'existe pas.
On vient toujours de quelque part
On a forcément suivi un chemin,
qu'on en soit fier, ou pas.
Schizo je suis : deux, voire plusieurs vies,
pour le carnage ET la sécurité.
Mes démons
profitent d'une fissure
s'infiltrent patiemment.
Je les laisse me charcuter
Pour encore sentir quelque chose. Encore sentir quelque chose. Encore-sentir-quelque-chose.
Me fichant que mon corps cicatrise.
Mes os sont fracassés
et c'est mon sang qui coule.
Mon coeur n'arrive pas à se refermer
Julie Boitte | 01-02.2018
# 19 Ton absence
Une présence.
Puis une béance
Depuis si longtemps.
Parfois un éclat m'éblouit
Me laisse fascinée
Et je ne peux plus en détacher les yeux.
De toutes mes forces je veux lui être liée, reliée, fusionnée.
Oui, fusionnée.
Un instant cet espoir fou
L'espoir que ton absence cesse
Alors ne plus penser qu'à ça, qu'à lui, qu'à elle, toujours un.e autre
Qui me complèterait, moi.
Moi endormie
D'un sommeil d'anesthésie.
Une torpeur
Pour ne pas souffrir
Ne rien sentir
Qu'une douleur sourde
A bas bruit comme disent les psys.
Une habitude
ce vide chronique
Compagnon
De vie, malgré moi
I'm a Fool
Je n'apprends pas
Car à chaque fois je me laisse prendre.
Et même,
j'y plonge de mon plein gré
Dans cette espérance folle
De t'avoir (re)trouvé
Julie Boitte | 31.01.2018 - Sur les jumeaux / Essai 2
Des voix.
Des voix qui disent :
" Il était meilleur que toi. Il aurait mieux valu que tu y restes toi, pas lui ".
Même dans mes rêves, même quand je dors.
Voix qui insistent. Parlent de plus en plus fort. M'écorchent les oreilles. Le cerveau. Laissent mon coeur en lambeaux.
" Tu ne le vaudras jamais. Il aurait été tellement ... parfait. Tu aurais dû lui laisser la place. Ta place. Egoïste que tu es."
Cauchemars. Sans fin et répétés.
Les voix ont raison.
Impossible que j'aie été seule, dans le ventre. Impossible.
Ce vide, ce manque, cette tristesse venue d'avant, de ce monde aquatique - oui les eaux me fascinent, encore, toujours, pour toujours.
Nous étions deux, c'est sûr. Nous étions deux autrefois, si proches si proches.
Les voix me parlent, de toi, sans cesse.
Ce qui me manque n'est pas un amour, n'est pas un.e amant.e.
Qui me manque pour me sentir complète, que je cherche sans cesse à nouveau, pour être qui je suis. Une. Unie. Unique.
C'est toi.
Toi mort trop tôt. Toi, mon jumeau.
Julie Boitte | 05.01.2018 - Sur les jumeaux / Essai 1
Petite fille candide.
Cheveux clairs, visage enfantin - comme un elfe aux grands yeux et à l'air étrange.
Corps juvenile. Longtemps. Souple. Comme une liane ou une belette. Fluide. Tremblant. Comme un faon aussi. Course légère. Envolées soudaines. Arrêts brusques.
Regard. On disait de ses yeux qu'ils étaient d'or. On disait quels beaux yeux elle a.
Elle ne comprenait rien. Elle regardait et se taisait. Elle écoutait. Tous leurs mots rentraient en elle. Enfouis dans la terre de son coeur. Son esprit en dormance. Travaillant en silence. Creusant des galeries et augurant des ramifications. Plongeant jusqu au centre, dans le feu, de là où naît toute vie. Toute potentialité de vie. Et toute force.
MAINTENANT
Fille. Femme. Quelle est la différence ? Elle a peur. L'image qu'elle avait d'elle ne correspond plus. Plus du tout à ce qu'elle est devenue.
Ils aiment sa fausse candeur à présent. C'est ce qu'ils disent. Ils disent aussi que c'est ainsi qu'elle se protège.
Ils aiment ses courbes. Bien sûr. C'est d'abord ça qu'ils voient.
Ils veulent être désirés par elle, de la même façon qu'ils la désirent. Exactement de la même façon. Une façon tyrannique. Qu'elle n'arrive pas à reproduire. Ils veulent lui faire perdre la tête. Parce qu'ils ragent d'avoir perdu la leur alors qu'elle n'a rien fait pour ca. Car elle est naïve. Et ils le savent. Et ils en jouent.
Et elle est timide. D'une certaine facon. Et ça leur plaît. Mais ils la veulent un peu salope aussi. C'est le terme qu'ils utilisent. Pourtant, quand ils la découvrent un peu moins timide que prévu, ils sont apeurés. Car ils perdent le pouvoir. Ils perdent la domination. Elle n'est à nouveau pas celle qu'ils croyaient. Elle leur échappe. Elle n'est déjà plus là. Elle n'est déjà plus à eux. Elle est comme un mirage. Insaisissable.
BIENTOT
Fière. Voluptueuse. D'une démarche féline, réapprivoisée de l'enfance. Ce temps d'enfance, époque révolue et si présente encore, pourtant, et malgré tout. C'est ainsi qu'elle sera.
Elle aura travaillé sa candeur. Vraie ou fausse. Elle saura comment avoir l'air ingénue. Et croire vraiment qu'elle l'est. Sur le moment même. Elle saura en jouer. Dans la façon de regarder. De parler. De bouger.
Chaque jour elle ira dans son antre. Se ressourcer. Raviver sa vigueur. Replonger dans ses racines solides. Faire émerger une canopée qui sortira d'elle, fleurira même et accueillera toutes sortes de créatures.
Un jour, elle sera prête.
Quand ce jour sera venu, elle sera. Effrayante et grandiose, terriblement lumineuse. Et de la cendre elle surgira, avec ses cheveux devenus rouges. Et tous, elle les dévorera.
Si le gouffre s'ouvrait sous moi
Je ne résisterais pas
Si le ciel m'aspirait
Je ne me rebellerais pas
Si la pourriture grimpait sur les murs
De ma chambre
Privée,
Je resterais
Quand même
Si tu me disais
Enfin
Que tu m'aimes
Je fuirais
Loin
Je refuse que tu m'enfermes.
Je résiste à ton emprise.
A toutes les emprises je veux
Résister.
L'obéissance, jamais.
Jamais.
Un maître?
Qui est-il pour "supposer savoir"?
Comment s'en remettre à quelqu'un
D'humain?
Ou
De divin?
Mon amour.
Si je te voyais tomber
Je ne ferais rien.
Car enfin
- je m'en rends compte à présent -
Je ne te connais pas.
Julie Boitte | juillet 2017
Terrifiante.
Etre qui on est et voir l'autre s'enfuir.
Se retrouver plus seul qu'avant.
Car avant, on ne savait pas.
Se jurer de ne plus jamais se dévoiler.
De n'être que stratégique. Observateur. Astrologue.
Car si l'on n'est pas Zeus, Léda meurt toujours de nous découvrir tel que l'on est.
Ne plus jamais croire.
Rester dans sa grotte.
Ermite misanthrope.
Que la moindre sortie soit vue comme une faveur. "Douceur".
Et non que le moindre retrait soit perçu comme une attaque. Personnelle.
Les chevaliers sont morts.
Etre léger c'est se barricader.
Alors, ne jamais dire la vérité.
Ne plus jamais croire vos yeux.
Ils sont un gouffre.
Je n'essaie plus de remonter.
Je suis un dragon.
Vous étiez prévenu pourtant.
Le monstre en moi grandit.
Vous avez peur. Et vous avez raison.
Julie Boitte | juillet 2017
Il faut qu'il soit bien accroché, le coeur. Pour ne pas s'égarer.
Décontenancée je suis - et sans doute pas la seule.
Inassouvie aussi. Mais de quoi?
D'un désir indicible.
Comme si nous étions funambules hésitant sur le côté où pencher.
Comme si un ailleurs s'ouvrait, parfois. Un ailleurs rare, à apprivoiser, où se laisser mener, sans plus rien contrôler. Car rien ne se passe comme fantasmé.
Attirance irraisonnée. Encore toujours inexpliquée.
Romantique au sens tragique, invétérée, je crois que "quelque chose" se passe.
Troublée. En déséquilibre. Encore. Et sans doute pas la seule - c'est peut-être ça qui est inédit.
Je déteste les matins. Vous le saviez déjà. Parce qu'il me faut trouver une façon de vous quitter. Et je ne sais pas.
Ne vous méprenez pas. Sur moi, sur ces méchants dont vous croyez que je m'amourache, sur cette vie dont vous pouvez pourtant être assuré que je ne l'abandonnerai pas.
"Nous" existe étrangement.
Avec des sentiments.
Bulle rare. Précieuse parenthèse.
Une île sur la mer de nos stabilités choisies.
Pouvons-nous prendre soin - de cette possible intimité, dessinée, peu à peu ?
Vous êtes effrayé.
Je ne veux pas mourir sans être allée au bout. De qui je suis. De qui nous sommes. Chacun et avec l'autre.
Je ne suis pas déçue. Je suis intriguée.
Moi, autrefois votre très chère.
Vous, mon - (im)possible - am(our)ant.
Julie Boitte | juillet 17
Mon coeur est enchaîné.
Mes pensées sur des rails.
Et mon corps est souffrant.
Tout me ramène à toi.
Pourtant, je sais.
Nos souvenirs n'existent pas.
Et mes rêves ... sont des rêves.
Trop tard. Trop loin.
Et trop émouvant.
Même s'il n'y a que moi qui l'avoue.
Je préfère dormir. Enfin. Après tous ces tourments, cet élan contrarié.
Dans mon sommeil, tout est possible. Je peux tout reconstruire. Je peux tout recréer.
Et chaque moment à peine esquissé dans la réalité se déploie, prend de l'envergure, et s'envole, dans le ciel enflammé. Comme un oiseau magique, phénix toujours mourant, mais toujours renaissant.
Embrasement sans repos. Sans repos.
Car seul le ciel, me console. Du crépuscule ou de l'aube naissante.
Le ciel seul est un espoir. Pour que l'horizon s'ouvre à nouveau. Malgré tout. Malgré moi.
Et sans toi.
Julie Boitte | mai 2017 | Essai sur une belle au bois dormant. Dont le prince ne revient pas.
Me libérer.
Me libérer de vous. Me libérer de toi.
Mais d'abord, me libérer de moi.
JE ME libère pour partir.
Pour m'envoler.
Pour que mon désir tyrannique ne m'enchaîne plus au sol.
M'envoler parce que le monde m'appelle. Parce je veux me fondre dans le paysage.
Caméléon je suis.
Parce qu'on me confond toujours avec quelqu'un d'autre. Parce que je suis invisible déjà. Depuis toujours.
A côté de quelqu'un d'autre, je disparais. Tu ne me vois plus.
Parce que moi, je n'insiste pas. Si tu préfères du clinquant, du minaudant, c'est ton histoire. Je ne me soumettrai pas. Je suis de la nuit. De la pénombre. De la lune.
Je n'essaierai pas de te séduire. Parce que séduire c'est se mettre à la merci. Et j'ai déjà donné.
Solitaire, de toujours. Misanthrope. Et sans attaches - oh je voudrais oui je voudrais tant parfois, comme si ça empêchait de souffrir, pfffff.
Mais je peux aussi m'évanouir dans le brouillard de mes rêves. Bien plus vite que tu ne le crois. Et bien plus soudainement. Fais moi confiance: bien plus soudainement.
Julie Boitte | avril 2017
Je cherche.
Une maison pour la nuit
un abri pour le jour
un endroit de repos.
Je cherche.
Une maison où dormir
un abri pour sourire
un endroit de plaisir.
Je cherche.
Un lieu où respirer
l'air pur à grandes goulées...
Je cherche!
Un endroit d'ouverture
où tes yeux seraient là
pour me rendre plus pure,
plus fraîche, et plus mature.
Je cherche...
Julie Boitte | mars 2007
Fébrile. Nerveuse. Prête à tout casser, à donner des coups de pied. A hurler. D'un cri qui viendrait du fond des tripes. Rauque. Dans un souffle effrayant.
Comme un enfant qui meurt.
Comme un vieillard qui n'arrive pas à quitter sa paillasse pourtant pouilleuse.
Comme un chaton qui agonise avant d'être dévoré par sa mère parce qu'elle est folle.
Mais ne pas crever d'angoisse.
Lutter. Toujours. Ne plus m'endormir.
Ne plus glousser.
Mais surprendre.
Derrière mon sourire angélique.
Derrière mon air ingénu.
Pour qu'enfin, ils sachent tous que je préfère les monstres aux héros.
Julie Boitte | décembre 2016
Le ciel est encore bleu
J'ai peur de la mort
Où est mon amant ?
Les arbres nus
Me rappellent ton manteau,
Lorsque nous étions ensemble
La nuit tombe
Les yeux du chat sont verts
Tu es si loin
Les nuages roses
Par la fenêtre de ma chambre
Peuplent ma solitude
L'horloge grince
Mon coeur est fou
A toi contre moi, je pense
Dans ma caverne
A l'abri du monde qui m'agresse
Je t'attends
Le thé brûle
Mes mains sont froides
Je voudrais dormir, enfin
La corneille sur le sommet
Comme un enfant qui pleure
J'ai besoin d'un refuge
Le cyclamen se fane
Mes ongles longs se cassent
Je ne sais plus qui je suis
Dans le creux du monde
Le silence est fou
Tandis que je m'agite, sans cesse
Julie Boitte | décembre 2016
Je pourrais croire que tu danses.
Si tu n'avais pas le pied gauche accroché à une corde.
Mais même ainsi, tes jambes sont comme des lianes, agiles, solides aussi.
Qui pourraient te soutenir, t'ancrer droit dans la terre, si tu n'avais pas la tête à l'envers.
Tu as l'air de rêver.
Tu ne souris pas vraiment mais tu sembles serein.
On dirait que tu flottes, dans l'espace – comme un cosmonaute, ou dans l'eau – comme un homme grenouille.
L'or et l'argent sortent d'entre tes coudes.
Tes cheveux sont d'un ange. Ils te nimbent d'une aura étrange.
Mais tu n'es pas seul.
Mes frères t'encadrent.
Comme s'ils se mettaient à ton diapason.
Comme s'ils veillaient sur toi, humain-trésor, jeune homme précieux, irremplaçable.
Leurs feuillages sont à la même hauteur que ton visage.
Leurs feuilles étoilées répondent par leur forme à la couleur de tes cheveux d'or.
Tu flottes, tu planes : ils s'enracinent pour toi.
Tu es apaisé : ils sont dans l'ailleurs, loin du réel.
Ils sont la nature forte, pour toi.
Tu te laisses faire par eux.
Tu bois leur présence.
Sans aucune résistance.
Ils veillent. Ils vieilliront au-delà de toi. Ils sont dressés mais non tendus.
Ils sont debout mais ne tuent pas.
Ils sont.
Sages par essence. Stoïques. Résistants. Inébranlables. Millénaires. Universels.
Arbres.
Julie Boitte | mai 2016 - sur la carte du tarot de Oswald Wirth, dans le cadre du projet "De sève et de son"
Je veux ton souffle, tes mains et ton regard.
Je veux ton audace et tes yeux encore.
Tes yeux toujours, la façon que tu as de les poser sur moi, sans pudeur.
Je veux tes mots. Parfois bateaux, toujours au moment où il faut.
Je veux tes doigts qui courent sur mon cou.
Je veux ta bouche sur mon visage.
Je veux ton rire quand je te défile mes lèvres.
Et je veux ta supplication.
Je veux nos promenades la nuit sous les étoiles, mon visage dans ton cou quand on joue à me cacher.
Je veux ce souvenir pour dans 20 ans, de cette vue appelée "... du paradis" dont tu n'as rien su car il faisait nuit. Et ton sourire et tes mains qui me saisissent un instant avant que je ne m'enfuie. Encore.
Avant que je ne sois vraiment troublée puis rendue à mes démons. Dont la légèreté et l'humour ne font pas partie.
Je veux ce frisson.
Je veux ce frisson de toi. Mieux encore. Et que je m'amuse. Et que tu joues. Mieux encore. C'est comme si nous avions eu notre répétition avant la première.
Même s'il ne doit y en avoir qu'une...
(Ps : je te poserai la question avant "cela peut-il se produire plusieurs fois avec la même?"..)
Julie Boitte | août 2016 en vue d'une soirée de poésie érotique
Assise à l'entrée
petite maison-cabane
au pied d'un arbre / en fleurs
elle ne sourit pas
elle tient dans ses bras une poupée
sa poupée
bras de poupée qui tombent
tête de poupée qui part/ en arrière
l'enfant ne pleure pas ne dit rien
ne sourit pas
les yeux dirigés vers le corps sur ses genoux
le regard ailleurs
les mains soutenant le corps de poupée inerte
elle est pieds nus l'enfant
cheveux tressés
raie au milieu des cheveux lisses
robe grise
foncée
col montant
manches longues
pas de bas
jambes dénudées
c'est un soir d'été
la poupée est morte
l'enfant est pensif
après
il ne s'est plus rien passé
Julie Boitte | 10.11.15
2# Intact
Il y a eu quelqu'un ici -c'est évident
quelqu'un qui vivait
quelqu'un qui aimait
puis qui est parti
jamais revenu/ jamais
il y a eu quelqu'un
assis sur ce tabouret/ de velours
assi-se se brossant les cheveux/ brosse en nacre/ cheveux d'or
miroir au cadre de bois sculpté
de roses
épanouies
offertes
écloses
elle aussi
ses yeux sont charbonneux
mi clos
sa robe est dégrafée
tombe sur son épaule qui attend d'être embrassée
quelles lèvres viendront ici ce soir ?
Quelle peau viendra contre la sienne après avoir ôté les soies du jupon, les lacets du corset
après avoir gardé les bijoux scintillants
à la lumière dorée/ des bougies
elle attend
se poudrant
se parfumant
Les tentures lourdes sont tirées devant les fenêtres
de la rue on ne distingue qu'une faible lueur
quelqu'un est arrivé ce soir
et elle a tout quitté
tout ce qui avait fait sa vie/ jusqu'ici
pour un ailleurs
un monde plus beau qu'on lui avait promis
depuis le miroir est tout piqué
les flacons sont tout ternis
une fine couche de poussière a tout recouvert
mes chaussures sont lacées jusqu'à mi mollet
les talons pointus ne font qu'une trace légère dans la poussière
je m'assois devant le miroir
je brosse mes cheveux avec la brosse de nacre
les yeux mi clos
j'attends
à la porte de l'appartement, qui viendra frapper ?
Julie Boitte | 10.11.15
Elle a toujours été là.
Surplombant le reste du monde.
Ses yeux bleu perçants
sa coiffe élégante piquée de fleurs
son chignon relevé
ses manches bouffantes
sa bouche pincée
un bijou sur le front un bijou brillant
étincelant
du haut de la fenêtre elle voit tout
qui entre qui sort
elle entend tout
qui pleure qui parle fort qui jouit
il y a cette enfant
de la terre sous les ongles
des yeux trop grands
le verbe lent
qui la regarde
et qui comprend
les autres ne regardent pas ne sentent pas ne voient pas n'entendent pas
les signes les souffles
l'enfant oui
ça lui coupe la parole
ça l'empêche de jouer avec des « camarades »
pourquoi faut-il en avoir ?
La solitude lui va. Bien
elle chante
elle rêve
elle marche
elle plante des fleurs
caresse le chat
revient toujours sous la fenêtre
à force d'attendre à force de crier sans parler
elle entend
le souffle du passé
elle est traversée
par les effluves du temps
elle est un coffret scellé
personne ne l'ouvrira jamais
elle n'aura pas de fiancé
ou de loin de si loin ils la regarderont, la désireront
mais effrayés n'oseront pas aller plus loin venir plus près
ils seront sans mots face à ses yeux profonds plein de questions
eux sauront avant elle que c'est elle qui sait
c'est elle qui sait
Julie Boitte | 16.11.2015