Ecrits

#45 Rivières

J'ai un trou dans le coeur et j'me promène avec
Il est béant et prêt à s'agrandir au moindre prétexte
Les bords sont coupants comme du verre
L'intérieur est comme un volcan
Prêt à éructer au premier coup de sang
et sa lave éclabousse en brûlant tout ce qui peut l'être
Au 3ème degré ma peau est si sensible que le moindre effleurement la déchire un peu plus
Mais je souris bravement
Et à chaque sourire offert la force
Me revient
Mes blessures deviennent écorces se renouvelant
Mes yeux prennent la profondeur des feuillages
Dans mes bras viennent loger les oiseaux
A mes pieds se blottir les serpents les mulots
Mes larmes deviennent nuages
Des rivières flottent au-dessus de nous
Protection contre la sécheresse
Je sers à quelque chose
 

Julie Boitte| 08/06/2025 

#44 The Forest

 

I'm going to the trees

and the night

or the sunset.

So far away

and not close

- nevermore never nevermore,

close to your

town, complications, unability

- I'm sorry

sorry for you -

your unability to be

here with me.

And not only

only with yourself.

 

I'm going to the green

in my surroundings

or far away.

But the wind

soft or strong

everafter and always

able to clean

my mad spirit.

And the woods

into the wild

always, definitely always

secure for me.

 

Because I'm

not alone, never

alone with sounds

and atmosphere and

perfumes and skins

of the forest. 

 

Julie Boitte| 08/03/2025 | inopinément en anglais lors d'un atelier d'écriture queer à Bxl

#43 L'Autre Monde

 
Y es-tu déjà allé.e?
De l'autre côté?
Là où rien n'est comme on croyait?
Là où le temps semble être à l'arrêt
De ce monde-ci?
 
Y es-tu déjà allé.e?
Là où ce n'est pas ta volonté qui dicte
Sa loi?
Mais où toi
Tu dois
Te laisser porter?
 
Si tu n'y es pas allé.e
Pourquoi
dire que ceuxcelles-là sont
timbrées?
Puisque tu ne sais pas
Tu n'as aucune idée
De ce qui se passerait si
enfin
à toi
ça
arrivait.
 
 
Julie Boitte | mai 2023

 #42 Plongeon

 

Tu as marché longtemps

Et tu as respiré

Ça t’a fait écouter

les cris des papillons.

Rouge.

Ça a duré longtemps

pour arrêter de penser que

seul.e l’autre te raccroche à la vie.

Mais non, tu n’es pas morte.

C’est juste que tu ne regardais que là

à cet endroit précis

là où l'autre

n’était pas.

Maintenant

tu peux t’ancrer

toucher la terre

regarder l’Est

respirer l’air

suivre ta chaleur et ton élan

rester changeante-mouvante

tout le temps

Car seule,

tu n’es pas.

Tu ne l’as jamais été.

Regarde juste

autour de toi.


 

Julie Boitte |  2021 Extrait de 'Dis-toi que ton coeur est celui d'une bête sauvage' Poésie Electro-Rock de Mocosès

#41 Denise

 

(...) parce que pour Denise,
c'est pas qu'il n'y avait pas eu de prétendant.e.s.
Des beaux, des belles, des riches et des intelligent.e.s.
Les voisin.e.s les avaient vu défiler devant la maison.
Alors,
chacun.e se demandait POURQUOI aucun.e n'était resté.e.
Non, ça ne pouvait pas être 'juste' à cause des poignées de porte?
Si? Non?!
Etait-ce si grave que toutes les poignées de portes de chez Denise
soient
en os? (...)

Julie Boitte |  2015 Extrait de "Antre[s]" sous le regard extérieur de Didier Kowarsky

#40 Iel et Suzie

 

(...) On est arrivé.e.s loin. Dans un autre jardin, celui des têtes coupées. On s’est planté.e, enterré.e, sans bouger. Isolé.e. Désespéré.e. Cette îlinvent’ n’était donc pas, idéale ? C’était insupportable. Mais impossible de s’en remettre aveuglément. Îleinvent’ ou pas.

Alors, nous avons goûté à la contemplation du devenir plante, végétal, liane, à qui on ne demande rien. Et ça a duré. Le temps que les veines d’Iel se recousent.

Là, Iel a fait vibrer, son corps et ses os, avec la terre, de cette voix profonde-rauque, cristalline-légère. Et la terre répondait. Et la terre était, fécondée. Et la terre faisait naître-surgir une plante, teintée du rouge carmin-cramoisi-pourpré-rosé : c’était, selon l’émotion, une plante qui ouvrait toutes les portes de la perception.

Les plantes parlaient à Iel. Iel n’avait qu’à, se brancher-connecter. Iel a appris COMMENT TOUJOURS AVOIR DE L’AIR, pour respirer même dans une bulle enfermé.e.s. (...)

 

Julie Boitte |  2022 Extrait de "Iel et Suzie" pour le projet Europe/Québec "L'île inventée"

#39 Carmilla 

 

(...) D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, bien que fille unique, et bien que sa mère soit morte alors qu’elle était enfant, Laura ne s’était jamais sentie seule.

Il y avait toujours eu la brise dans le jardin, le vol des chauve-souris, le hululement des hiboux, les pas feutrés des renards. Et dans le manoir tout entier, les effluves de parfums anciens, les froissements de tissus invisibles, les craquements du parquet et les portes qui décident elles-mêmes de s’ouvrir.

Mais depuis que Carmilla -l’invitée- était arrivée, Laura ne pensait qu’à elle. Passait tout son temps avec elle, faisait tout comme elle, elle était comme aimantée, irrésistiblement attirée.

Elles avaient le même âge, portaient le même modèle de robe de nuit, et chacune dans sa chambre laissait une bougie allumée sur sa table de nuit, et chacune chaque nuit, fermait la porte de sa chambre à clé de l’intérieur. (...)

 

Julie Boitte |  2022 Extrait de "Mon sang coule dans tes veines" balade contée singulière

# 34 La Lenteur

 

Quand le temps ne passe pas

Ou quand il passe trop vite,

Est-ce identique?

 

Je suis la tortue qui parfois hésite

Au lieu de poursuivre sa route

Tracée.

Si je m'arrête c'est pour

Sentir.

Ce qui serait juste

Pour moi seulement

(C'est là la dureté).

 

C'est LE défi

De chaque instant.

Revenir dans son corps

Lentement.

Plongeant.

Sentant son cœur qui s'emballe.

Et le calmer.

 

Redescendre profondément

Dans le fond du gouffre

Dans le fond du

souffle.

Respirant.

Jusque dans le ventre les tripes tous ces endroits dont on ne peut pas

- toujours pas -

Parler librement.

Même si Tout

Vient toujours de là.

De ce qui frémit depuis l'infini

Ce qui fait vibrer la moindre cellule

Et qui n'a jamais été

Petit.

C'est seulement qu'on lui a dit

De se taire de se diminuer de se planquer

Pour ne pas déranger.

Alors oui

Si tu te dépêches tu ne déranges pas tu fais ce qu'on attend de toi tu ne sens rien tu ne sens pas tu ne te relies pas à ce que l'extérieur pressé ne voit pas.

Car oui

Ces choses-là ne se donnent pas

Comme ça.

Car elles le savent

Qu'elles peuvent si vite

Et si durablement

Être abîmées.

 

Mais

TOUT est toujours venu de là:

Du fond.

De là où

On ne peut descendre que lentement.

Pas à pas.

Barreau après barreau après barreau, innombrables.

Clôture après barrière,

Barrage après barricades,

Innombrables.

Et de plus en plus solides.

Ou pas...

Si tu cesses de décider

avec ta volonté.

Si tu te laisses faire.

Si tu les laisses

T'ouvrir.

 

Le souffle lent

Donne douceur

Et calme.

Alors,

Au fond du fond du ralentissement le plus grand

-  et toujours en mouvement pourtant -

Au fond du fond de ce fond-là

Quelque chose s'ouvre.

Une autre dimension un autre thème un univers

Qui réhydrate les racines retournées.

Qui ravive les couleurs rêvées.

Qui recrée ce lien

‘’Inimité’’.

 

Et c'est seulement quand je suis quand tu es quand nous sommes

Dans ce temps autre

Que

QUELQUE CHOSE

Se passe.

Une chose

Lente

Ou fulgurante.

 

Julie Boitte | janvier 2021 - prix reçu d'Uccle en poésie le 15 novembre 2021, catégorie slam

27# Octopussy Girl

Elle ferme la porte de sa chambre à clé, toujours.

Le bouton de la porte est rond et brillant.

Mais ce n'est pas vraiment une porte. C'est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de porte en fait.

La fenêtre, elle, est réelle. Sans vitre - forcément, dans un château, il n'y a pas de vitres aux fenêtres.

Dehors, on voit la campagne.

Les montagnes bleues.

Les peupliers, tendus vers le ciel comme des gouttes d'eau, verte.

Et la route, sinueuse, qui va jusqu'à la mer.

De sa chambre, elle voit la mer. C'est de là qu'elle vient. Mais elle avait envie d'une demeure majestueuse. D'où, le château.

Elle n'est pas seule dans le château.

Sur les murs se posent une mouche aux yeux rouges et aux ailes blanches, et un scarabée qui se blottit dans le coin quoiqu'elle lui dise.

Au sol, sur le carrelage vert et blanc comme un jeu d'échec, il y a sa grenaraignée àzailes. Ce sont ses enfants. Mais autonomes déjà.

Pour eux, sur le mur et le carrelage, elle a tout prévu : une pomme qui fait bien 30 cm de diamètre et qui pend du plafond, tenue par un fil solide. La pomme est jaune. Son nom, c'est « Délice d'or ». Les enfants n'ont qu'à se servir.

Ainsi elle peut rester alanguie dans son fauteuil rouge et douillet. Un coussin rose lui soutient le dos.

Elle passe son temps à peigner ses cheveux noirs et épais. Son peigne n'est pas un peigne de nacre, c'est surfait, le nacre, mais l'ébène, ah l'ébène.

Ses cheveux sont retenus par un bandeau bleu. Ses yeux sont gris, ses lèvres rouges. Sa peau est rose pâle jusqu'à la taille. Au-delà, elle a 8 tentacules à ventouses qui gigotent à leur aise. Et surtout, qui lui permettent de s'appuyer sur le rouge du fauteuil d'un bras et de se peigner les cheveux de l'autre tandis que l'une des 8 tentacules tient son miroir en bois clair – l'or, pour un miroir, c'est surfait.

Ainsi, elle peut à la fois se mirer et rêver de la mer.

Car y aller, à la mer, elle ne peut pas.

Car, Elle, garde, la frontière.

 

Julie Boitte | 2015, en écrivant "Antre[s], inspirée par le dessin de Nicoletta Ceccoli

 

 

23# Latence(s) - Extrait

(...)

Ce qui va germer ne sait rien.

Mais a la force.

A l’énergie de naître.

A l’espoir d’être quelque chose,

de devenir quelque chose

quelque chose qui vaudra la peine.

Ce qui va germer rêve ses racines: solides,

rêve une croissance, magnifique,

une vie, grandiose. ...

(C’est un espoir.)

Même s’il y a un risque

que ses racines apparaissent entortillées, emmêlées,

un véritable risque que ces racines grandissent de façon tortueuse

cherchant très loin et revenant sans cesse au même endroit

ou repartant à l’autre bout mais,

même si c’est follement,

les racines grandiront.

la chose, ses racines, tout son être

est rempli d’énergie

pour tracer un chemin neuf

encore - jamais - emprunté - auparavant.

(...)

 

Julie Boitte | 04-05.2018 avec et pour le Trio Oblique avec Catherine Pierloz et Octavie Piéron

 

21# Serpent

Ecailles irisées.

Halo de lumière. Dorée. Toujours dorée.

Flots.

Ecume de chevaux galopants.

Se battre toujours contre le rouge. Taureau.

Cheveux blancs.

Mémoire enfuie. Enfouie.

Qui étais-je avant?

Avant toi? Avant lui? Avant elle aussi.

Flou.

Je vois flou depuis si longtemps.

Peut-être que c'est là qu'apparaîtra le chiffre. Derrière les lignes.

Caché.

Derrière les géométries folles. Du monde. Et de la vie.

Je scrute dans le brouillard. Et j'espère...

J'espère.

 

Personne ne viendra plus maintenant.

La brume et ses voiles me cachent moi.

Pour que je puisse continuer à dire que je ne sais pas.

 

Dorée la lumière oui.

Et les écailles?

De dragon.

Pas de sirène ni de gentil poisson.

 

Julie Boitte | 07.2017

15# Kate

Il voulait une vie normale.
Une épouse, normale.
Pas une femme passionnée. Ni extrêmement belle.
Et surtout pas, en aucun cas, extrême.
 
Il voulait une femme qui ne soit pas excessive.
Qui reste dans les clous.
Qui ne tremble pas.
Qui ne s'affole pas.
Qui surmonte les drames parce que "la vie continue".
Qui fait comme les autres.
 
Elle ne pouvait pas.
Tous ses bébés morts. Elle n'a pas supporté.
 
Alors, les paupières dessillées, elle ne l'a plus reconnu, cet homme.
Qu'elle avait aimé. Autrefois, jadis, il y avait une éternité de cela.
 
L'amoureux n'était plus là.
Il s'était enfui. Et elle ne pouvait pas aimer un lâche. 
Alors elle l'a laissé. Partir.
Elle, est restée seule.
Cloîtrée, chez elle.
 
Car le monde était devenu cruel.
Car la cruauté est partout.
 
 
 
Julie Boitte | août 2017
Après un film avec mon actrice fétiche.

8# Je cherche

Je cherche.

Une maison pour la nuit

un abri pour le jour

un endroit de repos.

Je cherche.

Une maison où dormir

un abri pour sourire

un endroit de plaisir.

Je cherche.

Un lieu où respirer

l'air pur à grandes goulées...

Je cherche!

Un endroit d'ouverture

où tes yeux seraient là

pour me rendre plus pure,

plus fraîche, et plus mature.

Je cherche...

 

 

Julie Boitte | mars 2007

6# Haïkus

 

Le ciel est encore bleu

J'ai peur de la mort

Où est mon amant ? 

 

Les arbres nus

Me rappellent ton manteau,

Lorsque nous étions ensemble

 

La nuit tombe

Les yeux du chat sont verts

Tu es si loin

 

Les nuages roses

Par la fenêtre de ma chambre

Peuplent ma solitude

 

L'horloge grince

Mon coeur est fou

A toi contre moi, je pense

 

Dans ma caverne

A l'abri du monde qui m'agresse

Je t'attends

 

Le thé brûle

Mes mains sont froides

Je voudrais dormir, enfin

 

La corneille sur le sommet

Comme un enfant qui pleure

J'ai besoin d'un refuge

 

Le cyclamen se fane

Mes ongles longs se cassent

Je ne sais plus qui je suis

 

Dans le creux du monde

Le silence est fou

Tandis que je m'agite, sans cesse

 

 Julie Boitte | décembre 2016

 

 

3# Poupée

Assise à l'entrée

petite maison-cabane

au pied d'un arbre / en fleurs

elle ne sourit pas

elle tient dans ses bras une poupée

sa poupée

bras de poupée qui tombent

tête de poupée qui part/ en arrière

l'enfant ne pleure pas ne dit rien

ne sourit pas

les yeux dirigés vers le corps sur ses genoux

le regard ailleurs

les mains soutenant le corps de poupée inerte

elle est pieds nus l'enfant

cheveux tressés

raie au milieu des cheveux lisses

robe grise

foncée

col montant

manches longues

pas de bas

jambes dénudées

c'est un soir d'été

la poupée est morte

l'enfant est pensif

après

il ne s'est plus rien passé

 

Julie Boitte | 10.11.15